Le coup de cœur 1

LIVRES

En bas dans la Vallée

Un road trip entre chien et loup de Paolo Cognetti

L’histoire débute comme le scénario d’un road movie canin à la Bonnie and Clyde. Une jeune chienne et peut-être un loup gris, un chien-loup du moins, remontent la Valsesia, une rivière de montagne que l’on nomme « le fleuve », dans une vallée piémontaise au pied du mont Rose, tuant tous les chiens qu’ils rencontrent sur leur passage. Le voyage, entre les cours d’usines abandonnées et les entrepôts délabrés, ne durera que le temps d’un chapitre mais il va imprégner le livre jusqu’à la dernière page.

La Valsesia est une de ces vallées industrielles du nord de l’Italie, froide et encaissée, où, plus on s’élève, plus le paysage se dissipe dans la brume, au point qu’il devient impossible de discerner le bord du précipice. Ici, le paysage est bicolore, blanc et vert, le blanc de la neige ou du brouillard et le vert sombre des forêts de sapins, épaisses et spongieuses. Là, deux frères, Fredo et Luigi, vont tenter sans succès de se retrouver. L’un est resté au village où il est devenu garde forestier et s’apprête à fonder une famille avec Elisabetta ; l’autre a dû s’exiler au Canada après un séjour en prison. Ils n’ont plus en commun que leurs souvenirs faits de chasse et d’alcool, et le vieux chalet délabré de leur père. Un chalet perdu dans la montagne mais qui bientôt sera au cœur des pistes d’une station de ski.

On n’est qu’à quelques sommets des baite (prononcez baïté) de pierres sèches du Val d’Aoste de Huit montagnes (prix Médicis étranger 2017), et pourtant En bas dans la vallée est si différent, plus noir sans doute. On y retrouve cependant tout l’art de Paolo Cognetti passé maître, depuis plusieurs livres déjà, dans la description de ces être happés par leur destin, à la recherche d’eux-mêmes et de leur raison de vivre.

J.-C. G

En bas dans la vallée de Paolo Cognetti, traduit de l’italien par Anita Rochedy, Stock, 160 pages, 18,90€.

En bas dans la vallée (Grand format – Broché 2024), de Paolo Cognetti | Stock

Et aussi…

À bout portant

De Philippe Artières

« Récit documentaire » est-il écrit sur la fiche de l’éditeur qui accompagne le dernier livre de Philippe Artières, À bout portant Versailles 1972, paru aux éditions Verticales. S’il n’est pas écrit Témoignage, c’est que les faits à l’origine de cet ouvrage se sont déroulés certes chez lui, dans sa ville du moins, mais il n’en a eu connaissance que cinquante ans plus tard, à l’automne 2022.

 Le 29 novembre 1972, un ouvrier algérien de 40 ans, Mohamed Diab, est tué d’une rafale de pistolet mitrailleur au cours d’une bagarre avec des gardiens de la paix, dans le commissariat de la caserne de Noailles à Versailles.

Pourquoi ce silence dans son entourage autour de ce fait divers ? Le directeur de recherche du CNRS à l’EHESS qu’il est devenu l’attribue aujourd’hui à son « racisme », non pas initialement celui de l’enfant qu’il était alors, ni de l’historien qu’il est devenu, mais celui d’une société, celle des années 1970, où l’on vivait en communauté, entre « blancs, bourgeois et catholiques ». Un racisme systémique en quelque sorte, consubstantiel à son milieu.

Dans les premières pages du livre, Philippe Artières décrit magnifiquement cette société si homogène composée de familles avec trois enfants, le père cadre, la mère au foyer qui « enseigne le caté aux enfants le mercredi », où les écoles n’étaient pas encore mixtes. Il raconte les week-ends en R16, les vacances d’hiver dans les appartements cabines des toutes nouvelles stations de ski savoyardes et celles d’été dans la maison familiale, à la campagne, bien loin des villes champignons qui éclosent dans la région parisienne et des autoroutes en construction. Comme dans un film de Claude Sautet, il ne manque ni « l’appartement modèle acheté sur plan » dans « la Résidence », ni « les meubles en métal » ni « les chaises transparentes » ni Bob Dylan, ni les lents désespoirs et les courts instants de grâce. Mais dans cette société où l’étranger, la différence restent invisibles, le racisme est latent.

Les parents lisent Télérama (ça n’a pas changé…), les Nouvelles de Versailles et les enfants sont abonnés à Pomme d’Api et plus tard au Courrier de l’Unesco où ils découvrent « par les nombreuses photographies, que vivent sur terre d’autres peuples ». Durant les soixante premières pages du livre, Philippe Artières dresse un état des lieux implacable avec force d’exemples, de ce qu’il dénonce comme un « racisme discret qui ne fait pas de vagues, ni de polémiques en famille ». Dans une France où « on n’a pas de pétrole mais on a des idées » (sous-entendu ceux qui ont du pétrole en seraient dépourvus…) le racisme ordinaire est partout. La société baigne dedans comme dans un marécage puant. Et l’on s’y habitue. Les années passent, les enfants grandissent. Au lycée, ils militent à Touche pas à mon pote, à la fac ils défilent contre la loi Devaquet puis la mort de Malik Oussekine. Philippe Artières étudie l’Histoire et fonde même une famille arc-en-ciel. Au final donc, le parcours d’un good guy dirait-on outre-Atlantique. On pourrait alors le croire tiré d’affaire, émancipé de son milieu, par l’engagement de toute une vie mais le constat qu’il fait est terrible. Et si, au fil des pages, il arrive que l’on ne partage pas complètement son analyse, le raisonnement, servit pas un style irréprochable, est implacable. Le couperet tombe dans les dernières lignes : « (…) j’écris une tribune pour critiquer, dénoncer, un regard raciste. Mais là encore, dénoncer le racisme, c’est trop facile. Je suis raciste. »

J.-C.G.

À bout Portant Versailles 1972 de Philippe Artières aux éditions Verticales, 114 pages. 17€.

À bout portant de Philippe Artières | Gallimard

Lettres à une petite fille…

Lettres à la petite fille qui vient de naître De Patrice Franceschi

C’est un livre à la conception originale : vingt-quatre courts chapitres, vingt-quatre lettres adressées par son parrain à une enfant tout juste née. Il y a bien sûr dans cet ouvrage quelque chose du poème de Rudyard Kipling « Tu seras un homme mon fils », les conseils d’un père censés guider son fils vers l’âge adulte dans la société britannique post victorienne.

 Le courage, l’équilibre, l’honnêteté, le devoir, la vérité, la vie, la maitrise de soi, l’engagement, l’amitié et l’amour, etc. Tout y est mis au goût du jour de ce nouveau millénaire, dans une société déliquescente. « Comment tenir droit sur une pente qui vacille », « le déclin de notre volonté collective de vivre ensemble », mais « le meilleur adviendra si la génération à laquelle tu appartiens décide d’inverser le cours des choses. »

Dans un style alerte, Patrice Franceschi décline ses rudes constats, ses mises en garde et ses conseils à cette petite fille, encore innocente, que l’on croise parfois, dans sa poussette, au détour d’une page, sur la place de la Contrescarpe. Et le lecteur passe ainsi, sans se lasser, d’un chapitre à l’autre sur cent pages tout juste, pour lâcher dans un souffle en refermant le livre « Eh bien!… Bon courage, Petite! »

J.-C.G.

Lettres à la petite fille qui vient de naître de Patrice Franceschi, éditions Grasset, 112 pages 16 €.

Lettres à la petite fille qui vient de naître (Grand format – Broché 2024), de Patrice Franceschi | Grasset

PODCAST

Les Racines du ciel sur France Culture

Entre 2009 et 2016, le sociologue Frédéric Lenoir produit et anime Les Racines du Ciel sur France Culture. Au cours d’une émission consacrée à l’Amour, avec comme invité l’écrivain et philosophe Fabrice Midal, à l’occasion de la sortie de son livre Et si de l’amour on ne savait rien (Albin Michel), la spécialiste de la poésie et de la spiritualité persane, Leili Anvar, lit un magnifique poème du poète persan Rûmî. Un texte qu’elle a elle-même traduit.

Par ta musique, toi, eau vive d’immortalité, / Fais-moi bercer comme un moulin tourner, / Fais qu’il en soit ainsi pour l’éternité / D’un côté mon cœur disloqué, de l’autre mon égoïté. / Pas une branche, pas une feuille ne peut sans une brise bouger, / Pas un fétu de paille sans ambre ne pourrait s’élancer. / Si pas un fétu ne peut sans vent s’envoler, / Sans le vent du désir, comment tout un monde pourrait-il s’ébranler ? / Toutes les parcelles du monde aiment d’amour, / Et chaque parcelle, d’un beau visage est enivré. / Mais ils ne te disent pas leur états bien cachés, / Car au méritant seul se disent les secrets. / Ce ciel, s’il n’aimait pas d’amour ne contiendrait pas en son sein la pureté, / Si le soleil lui-même n’aimait pas d’amour, sa face n’aurait pas en elle cette clarté. / Si la terre et les montagnes n’aimaient pas d’amour, les plantes de leur ventre ne pourraient pas pousser. / Et si la mer n’avait eu vent de l’amour, elle aurait trouvé une attache où se poser. / Toi, aime d’amour pour connaître l’amour. / Sois fidèle, pour voir la fidélité. / Ce fardeau du dépôt, le ciel l’a refusé, / Car il aimait d’amour, il eut peur de manquer

Rûmî

Pour aller plus loin : le site officiel de Leili Anvar: lelilianvar.fr ; Amour et union mystique avec Rûmi et Leili Anvar | France Inter ; LEILI ANVAR Les voix féminines de la religion , une interview réalisée par Isabelle Pannatier dans le cadre des Rencontres Orient Occident 2023 au château Mercier.

Le site officiel de Frédéric Lenoir : https://www.fredericlenoir.com/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *